Samedi 16 novembre 2019, à l’invitation de l’Association culturelle d’Aigueperse et ses environs (ACAE), Bernard Boulin, ancien vigneron et administrateur de l’ACAE, a présenté dans la salle polyvalente « Marcel Passelaigue » d’Effiat sa conférence sur le thème de l’encépagement du vignoble auvergnat.
Dans son discours d’accueil, Marc Carrias, maire d’Effiat, souhaite la bienvenue au public nombreux dans ce lieu magnifiquement rénové de sa commune.
Puis, Olivier Paradis, président de l’ACAE, présente l’orateur du jour, vigneron à la retraite dont les productions étaient très appréciées, mais aussi passionné d’histoire et d’automobiles, et qui s’est fortement investi dans les activités de l’Association culturelle, notamment, par ses conférences sur la Première Guerre mondiale et l’organisation de voyages sur les lieux des combats.
En guise d’introduction, Bernard Boulinpropose une petite leçon de vocabulaire autour du vin qui permet notamment de découvrir la différence entre deux catégories de spécialistes : les ampélographes, ces savants s’occupant des cépages, et les œnologues, spécialistes du vin, cette boisson considérée jusqu’aux découvertes de Louis Pasteur sur la fermentation, comme un nectar divin.
Pour évoquer l’époque préhistorique de la viticulture auvergnate, l’orateur propose un petit conte mettant en scène des chasseurs cueilleurs découvrant le vin après une cueillette de raisins sauvages. Puis il fait la transition avec les premiers agriculteurs qui, à la même époque, découvrent la culture de la vigne. Ils transmettent cette vigne cultivée et sélectionnée pendant des siècles à d’autres civilisations qui leur succèdent, notamment les Hellènes qui se choisissent un dieu du vin : Dionysos. Grands navigateurs, ces derniers établissent des comptoirs tout autour de la Méditerranée et commercent avec les peuples celtes dès le VIIIème siècle avant JC.
Premières tentatives de culture de la vigne en Auvergne
Au IIème siècle avant notre ère, les Romains prennent le contrôle de ce commerce. Dionysos devient Bacchus. Les Celtes deviennent Gaulois et même Arvernes. Leur amour pour le vin est toujours intact et ils font venir des amphores de vin romain en grande quantité, comme le montrent les découvertes archéologiques de Corent.
Après la conquête de la Gaule en 52 avant JC, des négociants romains établissent des plantations viticoles sur des terroirs gaulois leur semblant propices à la culture de la vigne. Ces nouveaux vignobles sont plantés avec des cépages méditerranéens inadaptés au climat continental de la Gaule. C’est un fiasco, ces plants ne murissant pas sous cette latitude. Mais de ce déboire va naître une hybridation avec les plants sauvages autochtones. Par multiplication, un nouveau vignoble voit le jour et la Gaule devient un important producteur de vin.
Toutefois, cette production viticole gauloise fait de l’ombre au commerce romain et l’empereur Domitien prend un rescrit en 92 de notre ère, interdisant la vigne non romaine dans tout l’empire. La surface de vigne diminue en Gaule, mais ne disparaît pas. En 276, l’empereur Probus abroge le précédant édit. La vigne est de nouveau cultivée à grande échelle en Gaule et en Arvernie comme le soulignent certains auteurs romains.
L’avènement du christianisme en Gaule y dope la culture de la vigne
Le christianisme devient une religion prépondérante dans l’empire romain à partir de 313 lorsque Constantin donne la liberté de culte aux chrétiens. Théodose l’impose plus tard comme religion d’état. Les chrétiens ne reconnaissent pas Bacchus mais associent le vin à leur rite le plus sacré : la messe. Les premiers évangélisateurs parcourent la Gaule et fondent des évêchés dans les cités les plus importantes et souvent les entourent de vignobles. C’est le cas d’Austremoine en Auvergne au début du IVème siècle. Il installe son évêché à Clermont qui est entouré de vignes comme nous transmettent ses hagiographes quelques siècles plus tard.
Les invasions barbares mettent un terme à l’empire romain d’occident. En 504, Clovis roi des Francs instaure la religion chrétienne comme religion d’état. Clermont est une cité viticole comme le précise Sidoine Apollinaire et, plus tard, Grégoire de Tours au VIème siècle.
L’indigence des sources du haut Moyen Âge forcent à parcourir ces siècles à grand pas. C’est le Xème siècle qui permet de reprendre l’histoire viticole de notre Auvergne. À cette époque, après les dévastations normandes, les abbayes se refondent par des legs et cens. Ceux-ci sont consignés par écrit dans les cartulaires. Celui de Sauxillanges mentionne de nombreuses vignes.
Pendant tout le Moyen Âge les institutions religieuses vont nous montrer à travers leurs comptes, procès, bans des vendanges et autres documents, tout un maillage viticole dans les paroisses des coteaux de Limagne. On retrouve dans ces écrits tous les lieux-dits viticoles de nos communes actuelles.
Aux XV et XVIème siècles, les troubles causés par la guerre de Cent Ans puis, un siècle plus tard, par les guerres de religion font décroitre le vignoble auvergnat. La relance va intervenir grâce au couronnement d’Henri IV. En effet, avec son ministre Sully, il démocratise la consommation de vin.
Première description des cépages cultivés en Auvergne
En 1607, le conseiller Jean Savaron nous donne une description dithyrambique du vignoble auvergnat. Dans un poème patoisant, un dénommé Laborieux cite l’encépagement du vignoble clermontois. Il nomme comme cépages : le brumeau blanc et noir, le chanis, le frayère et les muscats.
Au XVIIIème siècle, le vignoble auvergnat subit des transformations importantes en matière d’encépagement avec l’introduction du cépage gamay en renouvellement des ceps morts après l’hiver 1709 et le petit âge glaciaire qui suivit. Grâce à l’initiative de Nicolas Dupré de Saint-Maur, intendant de Guyenne en 1782, nous connaissons l’encépagement du vignoble d’Auvergne à cette époque. Il demande à son confrère l’intendant d’Auvergne Claude de Chazerat, de lui fournir des plants et leurs descriptions afin de constituer un conservatoire des cépages français. Ces listes de cépages sont arrivées jusqu’à nous.
De la gloire des vins d’Auvergne à l’arrivée des maladies de la vigne
Le XIXème siècle, est considéré comme le sommet de la viticulture auvergnate. Les 75 premières années se passent sans encombre. Mais, avec l’introduction de vignes américaines plusieurs fléaux vont attaquer le vignoble national : l’oïdium, le phylloxéra et le mildiou.
L’Auvergne ne subit pas ces attaques en même temps que les autres régions. Elle en profite pour accroitre la surface de son vignoble et prendre des places de marché de vins courants laissées par les autres. Se croyant à l’abri, les vignerons auvergnats négligent les préconisations de replantation de vigne. Après 1895, le phylloxéra se propage à grande vitesse prenant de court les vignerons déjà confrontés à la mévente de leur vin, car les vignobles du Languedoc se sont reconstitués et leurs productions envahissent les marchés.
À partir de 1900, c’est une descente aux enfers. Les surfaces diminuent de moitié. On passe de 50 000 ha à 20 000 ha en dix ans. La triste année 1910 avec sa pluviométrie hors norme, suivie de la Grande Guerre achève le vignoble auvergnat. Après guerre, peu de jeunes restent à la viticulture. C’est la déprise des coteaux viticoles, et le retour à la friche des moins fertiles d’entre eux.
Du VDQS à l’AOC, les efforts menés par les producteurs auvergnats
Une lueur d’espoir renait en 1932. Un jugement prononcé à Riom instaure l’appellation« Vin d’Auvergne » pour 171 communes du Puy-de-Dôme. Les cépages autorisés sont le gamay, le pinot noir et pinot blanc (chardonnay). Ce projet a été porté par Étienne Clémentel sénateur maire de Riom et Michel Levadoux maire de Châtel-Guyon et vice-président de la Chambre d’Agriculture. Dans le même élan, la cave coopérative « La Clermontoise » est créée en 1935.
En 1951, une nouvelle appellation voit le jour : le VDQS (Vin délimité de qualité supérieure). Elle reprend les dispositions du jugement de 1932. Cette même année une nouvelle cave coopérative voit le jour à Veyre-Monton, « La Cave des Coteaux», qui existe toujours sous le nom de « Cave Saint-Verny».
Beaucoup d’amendements des textes renforcent par la suite cette appellation qui devient plus restrictive avec la reconnaissance de cinq crûs – Chanturgue, Châteaugay, Madargue, Corent et Boudes – et il ne reste plus que 52 communes en appellation.
À partir des années 1970, quelques jeunes vignerons formés dans des écoles de viticulture, reprennent des exploitations et les font prospérer avec une grande technicité. Un nouvel essor de la viticulture auvergnate regagne l’appellation et contribue à retrouver des parts de marché longtemps abandonnées. Cet effort est reconnu, en 2010, par l’attribution de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) Côtes d’Auvergne. La première récolte concernée est celle de 2011.
Un conservatoire des cépages anciens a été créé à Cournon en 2017. Il en regroupe 22 comme le limberger, la syrah, le portugais bleu ou encore grec rouge (un cépage sicilien qui remplaçait le citron).
Parmi les ampélographes célèbres, on peut citer Louis Levadoux, né en 1912 à Clermont-Ferrand, qui passa son enfance aux Grosliers (Châtel-Guyon). Il a notamment entrevu une classification possible des cépages en fonction de leur origine géographique et de l’aspect de leur feuille. Ses hypothèses ont aujourd’hui été vérifiées grâce au séquençage complet de l’ADN de vitis vinifera en 2007. La vigne est une science. Les nombreux chercheurs qui y dédient leur carrière le prouvent.
Nunc est bibendum ! C’est maintenant qu’il faut boire ! C’est sur cette conclusion de Bernard Boulin qu’Olivier Paradis remercie chaleureusement l’orateur avant d’inviter les présents à découvrir les vins de Pierre Goigoux, viticulteur à Châteaugay.
Texte : N. Moulin ; photos : C. Genest, N. Moulin, Sparsae