Dans son numéro du 25 juin 2022, le quotidien américain New Mexican nous apprend que la cathédrale de Santa Fé, capitale de l’État du Nouveau-Mexique, va être hypothéquée pour garantir un emprunt nécessité par la transaction amiable d’indemnisation d’un montant total de 75 millions de dollars (71,3 millions d’euros) passée par l’archidiocèse de Santa Fé, suite à une action de classe pour abus sexuels lancée par plus de 375 plaignants contre des centaines de membres du clergé catholique de cet État.

Face à ces plaintes déposées pour des faits remontant parfois à plusieurs dizaines d’années et suite à la procédure lancée par le procureur général de l’État en juin 2019, l’archidiocèse du Nouveau Mexique avait dû initier, pour se protéger financièrement, une procédure de faillite (procédure dite chapter 11).

UNE ÉNORME DETTE À RÉGLER DANS LES PROCHAINS MOIS

Dans une lettre datée du 17 juin 2022, l’archevêque de Santa Fé, Mgr. John C. Wester, vient d’informer les  93 paroisses de son archidiocèse de son intention d’hypothéquer la cathédrale de Santa Fé, un monument pourtant considéré par beaucoup comme « le centre spirituel de l’Église catholique romaine du Nouveau Mexique ». En effet, l’archidiocèse va devoir régler un montant de 65 millions de dollars dès le 30 septembre prochain et 10 millions le 31 mars 2023. 

Ces sommes vont devoir être récupérées sur les ressources propres de l’archidiocèse. Elles conduiront à la vente de biens immobiliers et l’archidiocèse fera aussi appel à des contributions des paroisses pour un montant de 12 millions de dollars (soit une moyenne de 130 000 dollars par paroisse, 123 600 euros). Dans l’attente de réunir ces sommes, l’emprunt que ces règlements impliquent, sera garanti par cette hypothèque. Rappelons ici que le Nouveau Mexique est très peu peuplé : environ 2,1 millions  d’habitants (2019) et, bien sûr, seule une partie des habitants sur laquelle cette dette essaie de retomber, est catholique pratiquante.

AU 19ème SIÈCLE DE NOMBREUX MISSIONNAIRES DU PUY-DE-DÔME PARTIRENT AU NOUVEAU-MEXIQUE

Après le départ du clergé mexicain suite à l’absorption par les États-Unis de cette région prise sur le Mexique au début du 19ème siècle, le clergé catholique américain fit appel à celui du Puy-de-Dôme, et principalement aux nombreux jeunes séminaristes de Clermont, pour ranimer les paroisses venant d’être abandonnées par les franciscains mexicains, ces derniers ayant, au demeurant, laissé de mauvais souvenirs aux populations locales.

La piste de Santa Fé fut souvent empruntées par les chariots des prêtres et séminaristes auvergnats.
Cliquer sur les images pour les agrandir en plein écran.

L’inquiétude du Saint-Siège était de voir s’y développer une concurrence des communautés protestantes. C’est ainsi que dans la seconde moitié du 19ème siècle, plus d’une trentaine de prêtres et séminaristes de notre seul Puy-de-Dôme embarquèrent pour ces contrées lointaines. Les dernières semaines de ces voyages se faisaient encore en convois de chariots traversant les grandes plaines à l’Ouest du Mississipi.

Paysage du Nouveau-Mexique près d’Acoma.

Parmi ces premiers missionnaires on trouve Jean-Baptiste Lamy, né à Lempdes près de Clermont, qui deviendra le premier archevêque du diocèse de Santa Fé. Ce diocèse couvrait une immense région comprenant non seulement le Nouveau-Mexique actuel, mais également l’Arizona et le sud du Colorado. Pendant plusieurs dizaines d’années les visites pastorales lui firent parcourir des régions désertiques des Montagnes Rocheuses où certaines tribus indiennes n’étaient pas pacifiées. Ces États sont, aujourd’hui encore, très peu peuplés avec une densité, pour le Nouveau-Mexique, de 7 habitants au km2  (107 pour la France métropolitaine). Les archives relatent plusieurs cas d’attaques sérieuses et, souvent, des décisions d’officiers en poste dans des forts de ces régions de faire accompagner par la cavalerie américaine ces convois de jeunes prêtres.

Portrait de Mgr. J.B. Lamy., 1er archevêque de Santa Fé.

Mgr. Lamy est à l’origine de la construction de la cathédrale de Santa Fé, dédiée à saint François d’Assise, pour laquelle il fit venir de Volvic et des alentours (notamment d’Aigueperse) des ouvriers et des architectes connaissant le travail de la pierre (tailleurs de pierre et maçons). En effet, à cette époque, tout l’ouest américain ne connaissait guère pour la construction que la brique cuite au soleil (l’adobe).

La partie administrative de la gestion de cette construction fut confiée à son vicaire général qui, encore jeune prêtre, parmi les premiers l’avait rejoint : Pierre Éguillon, natif du village de Bussières, près d’Aigueperse. Toute cette épopée a été relatée dans quatre articles publiés par l’Association culturelle d’Aigueperse et ses environs (ACAE) – voir liste ci-dessous. On y apprend notamment que les vitraux actuels de cette cathédrale, consacrée le 18 octobre 1895 (après le décès de Mgr. Lamy), proviennent de maîtres verriers installés cours Sablon à Clermont-Ferrand et transporté via la Louisiane jusqu’à Santa Fé (apparemment sans casse !).

Cathédrale Saint-François d’Assise de Santa Fé (N.M.) et statue en bronze de Mgr J.B. Lamy, 1er archevêque de Santa Fé (inaugurée par Mgr Pitaval, 5e archevêque, le 23 mai 1915).

UNE HYPOTHÈQUE PRISE SUR DES DÉPOUILLES D’AUVERGNATS !

En reconnaissance du rôle éminent et décisif dans la construction de cette belle cathédrale, les dépouilles de ces deux ecclésiastiques, J.B. Lamy et P. Éguillon,  reposent dans la crypte scellée sous le chœur de cet édifice. On peut donc être surpris de constater qu’en même temps que l’hypothèque du bâtiment, se trouvent, de facto, hypothéquées les sépultures de nos deux Auvergnats. Les Américains nous surprendront toujours. Faut-il y voir les prémices de semblables décisions à venir dans notre vieille Europe ?

Le quotidien annonçant cette prise d’hypothèque, le New Mexican de Santa Fé est considéré comme le plus ancien journal de l’ouest américain. Son premier numéro fut imprimé le 28 novembre 1849. Il a donc vu l’arrivée de ces prêtres et séminaristes puydômois et, sous leur direction, la construction de la cathédrale qui deviendra basilique sous le pontificat de Benoit XVI.

Intérieur de la nef de la cathédrale de Santa Fé.

Pierre Eguillon en couverture de Sparsae n°81.
On pourra lire à propos de cette épopée assez méconnue :
  • Allayes (M.), « Quintien Monier, un Aiguepersois au Nouveau-Mexique », Sparsae, 51, 2006 rééd., pp. 3-16.
  • Debatisse (M.), « De Bussières au Nouveau Monde, Pierre Éguillon (1820-1892) vicaire général de Santa Fé – 1ère partie : vers le Rio Grande », Sparsae, 81, 2018, pp. 5-31.
  • Debatisse (M.), « De Bussières au Nouveau Monde, Pierre Éguillon (1820-1892) vicaire général de Santa Fé – 2ème partie : le grand projet », Sparsae, 82, 2018, pp. 41-62.
  • Agbessi (C.), « Des Volvicois au Nouveau-Mexique », Sparsae, 82, 2018, pp. 63-79.

29 juin 2022
Texte : Sparsae
Photos : Sparsae ; coll. Municipalité de Socorro (NM)